Images de Patricia Swidzinski : des fantômes ou bien des indices ?
 
Pour transposer une biographie de la contralto Kathleen Ferrier (1912-1953), son exposition jouxte le récit de Christian Garcin et les tirages d'une collection de négatifs sur verre.

 
Vidas suivi de Vies volées, fut en janvier 1993 chez Gallimard le premier livre publié par un natif d'Endoume, Christian Garcin : dans ce recueil de 40 textes, on trouve une courte biographie de Kathleen Ferrier que la photographe Patricia Swidzinski a voulu adapter. Ses images en noir et blanc sont en conformité avec le texte de Christian Garcin, les souvenirs de la carrière brusquement interrompue de la chanteuse ne sont pas détaillés ; autrefois célébrée par Yves Bonnefoy, sa « voix mêlée de couleur grise » est à peine perceptible. Ce qui retentit, ce ne sont pas les Kindertotenlieder ou bien Le Chant de la terre . A la place d'un enregistrement du chef d'orchestre Bruno Walter, on entrevoit des lignes de fuite et des ellipses : les portes sont maintenues ouvertes du côté du rêve et du hasard.
 
Pour les photographies de son installation, Patricia Swidzinski a sélectionné quelques-unes des trouvailles d'une collection de vieux négatifs conservés sur des plaques de verres. A partir de ces images anonymes qui sont difficilement identifiables – elles furent réalisées pendant la première moitié du vingtième siècle – on discerne la trame d'un labyrinthe qui relève de la littérature ou bien du cinéma. On découvre des lieux et des ambiances doucement énigmatiques, l'errance d'une jeune femme qui pourrait devenir un personnage d'Alain Resnais ou bien de Marguerite Duras.
 
Montages et traductions
 
Dans cette exposition, l'artiste n'est pas exactement une photographe. Son intervention survient en seconde ligne, son travail ressemble aux tâches d'une monteuse de film, ses emprunts sont proches des exigences d'une traductrice. En témoigne le chevauchement de deux surimpressions qu'on explore dans l'image reproduite pour cet article. A gauche, les draps d'un bateau-lavoir et le chevet d'une cathédrale situent un premier fragment d'image en bordure de Metz, près des quais de la Moselle. Au premier plan et sur la droite, on suit la pente des pavés d'une place de marché des Pays-Bas, des personnages qui accompagnent un charroi de barriques se retournent du côté de l'objectif du photographe. Le linge du Bateau mosellan trouve pour écho les stores des boutiques hollandaises, les pavés nordiques sombrent doucement dans les eaux du canal.
 
21 photographies font écho au récit de Christian Garcin ; l'intégralité des images et du texte est reproduite au centre de la galerie, sur les quatre faces d'une bâche. Les drames et les césures de la biographie s'estompent, l'ironie prend le dessus, la chanteuse est une jeune femme parmi d'autres : des silhouettes venues d'autres époques peuvent l'incarner, elle «aime l'odeur de la campagne après l'orage... le bruit des pendules dans l'obscurité ».Les index de la « réalité » disparaissent, des miroitements et des zones fantomatiques surgissent. Kathleen Ferrier serait «une flèche dans le murmure de l'air »  : « elle vécut (quarante et un ans), chanta (dix ans), puis le silence l'engloutit » .
 
 
Alain Paire

 
Patricia Swidzinski, galerie du Tableau, 37 rue Sylvabelle, Marseille, ouvert tous les jours de 10h à 12h et de 15h à 18h. Jusqu'au samedi 27 février.

Article journal La Marseillaise, mercredi 24 février 2021